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Mardi 21 mai dans la salle de Bonlieu aux Haras. (Quel beau lieu pour Bonlieu !). Il n’y a rien à jeter dans ce spectacle «roulé à la main», modeste dans sa présentation et dans ses façons, mais très ambitieux dans sa portée et les moyens qu’il utilise.
La matière première, c’est Le Cid de Corneille, ou plutôt, c’est le propos du Cid : une histoire d’une horrible simplicité (pour l’honneur, on tue), aux conséquences comiquement compliquées (tu as tué donc tu dois être tué même si c’était pour ton honneur je dois te tuer pour le mien même si je n’aurais pas supporté que tu ne tues pas pour ton honneur qui est aussi...), et aux solutions dignes des problématiques de cours de récréation (ben tu vas faire la guerre et on dirait que y’aurait plus de problème...). Les vers de Corneille sont ici replacés dans une narration si évidemment comique qu’il est difficile d’imaginer qu'il ne l’a fait exprès. Dans ce monde là, des vieux confits d’orgueil inventent ou détournent les codes d’honneur pour désarticuler une jeunesse qu’ils jalousent. Ce regard acide n’empêche pas que résonnent avec force les tirades enflammées de Rodrigue (Ah le monologue de la guerre !) mais ramène efficacement ses atermoiements et ceux de Chimène au niveau de la coquetterie, du «pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? ».
Le moyen, c’est beaucoup de savoir faire et une aimable truculence. Tout est bon. Le jeu des acteurs (vous avez vu ? C’est tout à la face !), leur diction, la définition de l’espace, l’ovale d’un cirque de rue entouré de lumignons auquel on adhère très vite, l’idée d’ amener les personnages en taxi sur le lieu du drame, la présence de médiateurs / commentateurs / narrateurs qui ont la courtoisie de comprendre un peu moins vite que nous et, cerise sur le gâteau, l’excellente musique, tellement bien jouée que j’ai cru qu’il y avait cinq très bons musiciens et autant de comédiens sans compter quelques personnages de second rang. Je n’ai compris qu’à la fin qu’ils sont cinq en tout et pour tout et que ce sont les comédiens eux-mêmes qui jouent du oud, du piano, de la guitare, de la clarinette basse, de l’accordéon, des percussions, et qui chantent avec beaucoup de respect des «tubes» du temps passé, des tangos kitch, des pasodobles enamourés, et les romances de pacotille des crooners gominés sous la boule faite en miroir...
Le vrai moyen, en fait, c’est que ces gens là font leur vrai métier d’acteurs, et semblent bien plus préoccupés de prendre du plaisir à nous en donner, qu’à démontrer ou revendiquer une quelconque originalité plus ou moins frelatée. Ici, pas d’autres effets que ceux qu’on peut facilement mettre en oeuvre partout (Bien sûr c’est une illusion et le montage technique est aussi sophistiqué que discret, mais on est loin de la vidéo et du numérique, et ça fait du bien !), pas d’autre magie que celle d’une narration précise et généreuse, pas d’autre tapis volant que celui de «j’y crois, tu y crois». Ils savent, comme d’autres par le monde, que le théâtre est une affaire trop sérieuse pour la confier à des gens tristes. Ils sont légers pour être lestes et voyager sans envahir. Ils sont dans une grande tradition de colporteurs de rêve. Comme les danseurs de Kata-Kali, les marionnettistes des théâtres d’ombre, le Colettivo di Parma, les Comediants, et avant eux les bateleurs des marchés, l’Illustre Théâtre ou les King’s Men du théâtre du Globe, comme tous ceux qui sont allés ou vont encore rencontrer le public tel qu’il est et là où il se trouve, ils apportent de l’air, de la liberté et de l’espace.
Ah ! la bonne leçon !
Et on ne se quitte pas bêtement comme ça... on mange ensemble leur cuisine. Et ils jouent encore, infatigables, les chansons du spectacle et d’autres, et semblent là encore y prendre un puissant plaisir.
Une leçon vous dis-je !
Pierre Launay
Crédit Photos © Elian Bachini
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